Reclus de Monflanquin, gourou de famille
Publié le :
02/10/2012
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Grand angle – Thierry Tilly est accusé d’avoir manipulé durant dix ans les parents et enfants Védrines, les poussant à se cloîtrer dans leur château pour mieux les ruiner. Son procès se tient jusqu’à vendredi.
Polo noir, regard perçant, Thierry Tilly parle d’une voix aiguë, coupe la parole et assène des vérités, en tout cas sa vérité. Il a réponse à tout, il est énervant d’assurance, débite des propos tellement décousus qu’on meurt d’envie qu’il abrège sa pensée. Il le dit sans forfanterie, à la cantonade : souvent, il pense en anglais, et cela crée un «décalage» vis-à-vis de ses interlocuteurs. Tilly est un surdoué du langage, un maître du discours. Est-ce ainsi, jouant de sa logorrhée, qu’il a abusé une honorable famille du Bordelais, la plumant de 4,5 millions d’euros, la dépouillant de ses châteaux, immeubles et titres ?
Son procès s’est ouvert le 24 septembre au tribunal correctionnel de Bordeaux. Thierry Tilly, 48 ans, doit répondre de séquestration, de violences volontaires sur personne vulnérable, et d’abus frauduleux de faiblesse de personne en état de sujétion psychologique.
«Plus c’est gros, plus ça passe»
C’est en 1999 que cet homme sans caractère particulier rencontre les Védrines, famille bordelaise de la vieille noblesse huguenote, habillée de vestons, pulls légers et bijoux discrets. Il leur propose ses services et s’introduit dans la parentèle, gagnant la confiance de la grand-mère, Guillemette, de ses enfants, Ghislaine, Philippe et Charles-Henri, et petits-enfants, conjoints compris, onze personnes en tout. Et il entreprend alors de les plonger dans un monde d’angoisse et de persécution, jusqu’à ce qu’ils perdent toute confiance en eux. Ils sont menacés, leur dit-il, par la franc-maçonnerie, les juifs, les rose-croix et les homosexuels. Les médias leur veulent du mal. Pour échapper à tous ces ennemis, il leur faut vivre cloîtrés dans leur château de Monflanquin, dans le Lot-et-Garonne, ne parler à personne et se méfier de tout. Pendant ce temps-là, Tilly, qui se prétend agent secret, capable de déjouer le complot, mettra à l’abri mobilier et dorures, leur promet-il. Mieux, il leur fera gagner de l’argent en plaçant leurs économies sur des comptes rémunérés… Tilly avait trouvé son auditoire, il faisait peur à tous, savait se montrer persuasif face à des gens finalement bien naïfs. L’affaire durera dix ans, jusqu’en 2009, lorsque des membres de la famille brisent le cercle infernal créé par le gourou.
Comment ces gens jugés plutôt sensés ont-ils pu croire de telles fariboles ? Comment n’ont-ils pas vu que Tilly les montait les uns contre les autres, tissant une toile, les enfermant dans une méfiance mutuelle ? Etienne, un des petits-enfants Védrines, raconte ainsi que son père, Charles-Henri, ne lui confiait plus son numéro de téléphone portable, «qu’il s’était mis à fermer tout à clé en prétextant des cambriolages, qu’il avait peur des complots maçonniques». Lucile, la sœur d’Etienne,confiera que ce même Charles-Henri, dont elle n’ignorait pas le sens affirmé de la famille, était allé jusqu’à désavouer son mariage, en traitant sa fille d’«être vénal».
C’est que Tilly médit à tout va, divisant la famille. Et il ment. Il affirme à ses victimes qu’il a sauté en parachute d’un Transall à 12 ans, qu’il a le niveau d’un joueur de tennis professionnel, qu’il a côtoyé au football Paul Le Guen, l’ancien entraîneur du PSG, et participé à une finale d’un championnat contre Saint-Etienne. Il avoue d’ailleurs franco à une de ses victimes : «Plus c’est gros, plus ça passe.» Avec les Védrines, ça passe. Pénétrant leurs esprits, malaxant leur cortex, il est allé jusqu’à entraîner une partie de la famille en Grande-Bretagne, d’où elle a continué à travailler pour lui, lui versant son salaire.
Pour sa défense, Tilly argue qu’il a tout fait avec le consentement des Védrines, que ces protestants sont des riches propriétaires vénaux, prêts à tout pour l’argent… Il affirme que sa mère lui a appris la bienfaisance dès sa plus jeune enfance : elle-même était une communiste qui donnait aux pauvres. La présidente du tribunal, Marie-Elisabeth Bancal, l’écoute pérorer, dubitative. Elle lui coupe la parole, le remet à sa place, lui demande d’aller au fait. Lorsqu’il dit que la justice n’a fait à son encontre qu’instruire «à charge», elle le renvoie dans ses cordes.
Sur le banc des parties civiles, les Védrines aimeraient donner au monde l’image d’une famille unie, qui n’a pas été appâtée par le gain, mais manipulée et abusée par Tilly. Une thèse que confirme Vincent David, 64 ans, l’avocat qui l’a introduit auprès de Ghislaine de Védrines en 1999. Il a travaillé pendant douze ans pour Tilly, qui l’a, dit-il, «charmé».Plus perspicace, la femme de Vincent David a senti le danger, découvrant que son mari était totalement sous la coupe de Tilly. «Avec le recul, c’est un véritable abus de confiance auquel il s’est livré», dit l’avocat fiscaliste. Entendant cela, Tilly, sonné, semble au bord des larmes. Une faille dans le cerveau du gourou ?
Vincent David a été tellement subjugué par Tilly qu’il ne tentera rien lorsqu’il s’apercevra que les Védrines vivent de façon «abominable», terrifiés par ces caméras et ces micros installés partout par Tilly. «Je ne l’ai pas dénoncé, peut-être parce qu’il y avait une relation d’amitié qui s’était créée entre nous», avance Vincent David, qui lâchera quand même son ancien partenaire. Aujourd’hui, il le qualifie de «garçon intelligent» qui, malheureusement, «utilise ses facultés intellectuelles de façon abjecte».
«Un pistolet psychologique sur la tempe»
L’expertise psychologique des victimes de Tilly a montré qu’une de ses armes, et de ses obsessions, était le sexe. Il a fait croire à ses victimes qu’elles encourraient les pires dangers si elles avaient une sexualité corrompue. Et, à l’inverse, que des sévices sexuels les menaçaient à tout moment. Ainsi, Tilly n’a pas hésité à déclarer à Diane, une des petits-enfants Védrines, qu’elle risquait d’être victime de tournantes. Diane assure que Tilly lui avait mis un «pistolet psychologique sur la tempe», qu’il avait réussi à lui faire croire qu’elle n’avait plus son libre arbitre. Elle a aujourd’hui le sentiment d’avoir été kidnappée.
Après s’être arrachés des griffes de Tilly, les Védrines ont souffert d’un «manque», tant l’homme avait envahi leurs vies. «Thierry Tilly nous avait réduits à un état de sous-hommes. Nous étions dans un autre monde, très fatigués physiquement et psychologiquement», affirme Christine de Védrines. Elle relate un épisode qu’elle qualifie de «calvaire» : «Une séquestration pendant des jours, sans nourriture ni sommeil, pour me faire avouer le lieu d’un trésor imaginaire.»
Tilly avait-il pour «patron», comme il l’affirme, Jacques Gonzalez, l’autre mis en examen appelé à comparaître cette semaine ? Cet homme de 65 ans avait créé en 1999 une fondation humanitaire au Canada, Blue Light Foundation, qui a capté une part non négligeable du magot des Védrines : 1,5 million d’euros. L’homme se présentait à ses clients comme «Gonzalez Santo de la Vega», descendant de la grande noblesse espagnole… Quel a été son rôle exact dans cette affaire ? C’est l’une des nombreuses questions auxquelles ce procès, qui s’achève vendredi, tentera de répondre. Gonzalez encourt cinq ans de prison, Tilly le double.
Source : Libération du 02/10/12
Historique
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