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Le Point : Monflanquin : le procès de la manipulation mentale

Le Point : Monflanquin : le procès de la manipulation mentale

Publié le : 25/09/2012 25 septembre sept. 09 2012

Comment une famille de notables a-t-elle pu sombrer dans une prison mentale et se laisser dépouiller par celui qui prétendait la protéger d’un complot ?

Pendant deux semaines, les magistrats du tribunal correctionnel de Bordeaux vont décortiquer le processus de manipulation qui a permis à un homme et à son complice d’asservir onze membres d’une famille de l’aristocratie bordelaise durant dix ans (les de Vedrines) et de les escroquer de près de 5 millions d’euros.

Abus de faiblesse

De mémoire judiciaire, il s’agit d’un cas exceptionnel de manipulation mentale. Outre sa durée et l’ampleur de l’escroquerie, l’emprise psychologique a empoigné trois générations de victimes âgées de 16 à 89 ans. Elles ont toutes rompu leurs attaches sociales et familiales au point d’épouser le destin tragique des « reclus de Monflanquin », du nom de la demeure familiale dont elles sont devenues, malgré elles, les otages.

L’auteur principal, Thierry Tilly, se serait présenté sous différentes casquettes – « agent de l’ONU« , « agent secret », etc. -, ce qu’il a toutefois nié à la première audience du 24 septembre. Il aurait fait croire aux membres de la famille qu’ils étaient la cible d’un complot ourdi notamment par les francs-maçons, et qu’il travaillait pour une association humanitaire québécoise, la Blue Light Foundation. Le tout, enrobé de techniques manipulatoires affûtées. C’est Ghislaine Marchand, la directrice d’une école de secrétariat, qui l’avait « introduit » dans la famille après l’avoir embauché dans son école de secrétariat. Elle lui aurait ensuite confié des pans entiers de l’intimité familiale, notamment les antagonismes existant entre belles-soeurs et beaux-frères. « Il a tout fait pour exacerber ces conflits et mettre sous sa coupe chaque membre de la famille pour arriver à ses fins », souligne un membre de l’association Info Sectes Aquitaine.

Altération du jugement

Cet homme de 48 ans qui est allé jusqu’à séquestrer et frapper l’une des victimes est poursuivi notamment pour « abus de faiblesse de personnes en état de sujétion psychologique », un délit puni de 3 à 5 ans de prison (article 223-15-2 du Code pénal). « Plusieurs délits peuvent appréhender indirectement les cas de manipulation, notamment l’escroquerie ou l’abus de confiance. Mais celui qui se rapproche le plus de la manipulation mentale est l’abus de faiblesse d’une personne en état de sujétion psychologique. Il est d’ailleurs issu d’une loi du 12 juin 2001 dont l’objet était de réprimer les pratiques sectaires », souligne l’avocate Astrid Mignon Colombet. Cette base légale est, en pratique, assez peu utilisée. Seulement 34 condamnations ont été prononcées en six ans (de 2004 à 2009). Parmi les personnes déclarées coupables figuraient deux voyantes qui faisaient croire à des visions angoissantes et à des sorts maléfiques pour conduire leurs clientes à leur remettre de l’argent.

L’expertise psychiatrique des protagonistes, dévoilée dans quelques jours, pèsera de tout son poids pour dire si les faits sont propres à caractériser l’infraction d’abus de faiblesse à l’égard des onze victimes. Toute la question sera de faire la part des choses entre le discernement et le libre arbitre des victimes présumées, d’une part, et la « sujétion psychologique » exercée par leur « gourou », d’autre part. Tilly a-t-il exercé des « pressions graves ou réitérées » ou employé des « techniques propres à altérer le jugement » de ses proies ? « Le talent d’un mythomane escroc consiste à empêcher sa victime de prendre le moindre recul, sans lequel aucun éclair de lucidité n’est possible. Il a la plasticité d’un caméléon, doublée d’une intuition qui lui permet de s’adapter aux attentes des victimes, décrypte le psychiatre Paul Bensussan, expert agréé par la Cour de cassation. Ce genre de personne ne dit pas la même chose à chacune d’entre elles, auxquelles il délivre notamment des informations « secrètes » et, surtout, « personnalisées ».

Cerise sur la manipulation, Tilly se prétend lui-même être « sous l’influence de Jacques Gonzalez », l’un des représentants de la Blue Light Foundation, auquel il aurait reversé d’importantes sommes. Gonzales est poursuivi pour complicité et recel d’abus de faiblesse. « C’est l’instruction à l’audience qui pourra établir les responsabilités respectives », explique Me Mignon Colombet. Il faudra avant tout déterminer si Gonzalez a manipulé Tilly ou s’il l’a simplement assisté dans sa tâche.

Vide juridique

Pour l’avocat des victimes, Daniel Picotin, le droit est démuni face aux situations de « mise sous emprise par manipulation mentale ». Un « manifeste » publié par le Centre contre les manipulations mentales (CCMM) sera présenté cette semaine aux parlementaires pour combler ce « vide juridique ». « Pour l’instant, la justice estime que l’abus de faiblesse ne peut être invoqué que par la victime elle-même et, donc, lorsque celle-ci sort de son état d’emprise pour être en mesure de le faire. Rien n’aura pu être fait pendant des années pour que ces onze personnes puissent être soustraites à l’influence néfaste du manipulateur qui les aura purement et simplement ruinées économiquement, familialement et professionnellement », souligne le texte, qui propose de créer un délit autonome pour répondre à ce type de « délinquance pernicieuse ».

Source : Le Point du 25/09/2012

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